Quel est l’impact de la présence d’arbres sur la productivité et la qualité des prairies ? Sur le comportement des animaux ? Les feuilles d’arbres ont-elles un intérêt nutritionnel ? Le projet multipartenarial Parasol, réunissant Agroof, Inrae, Idele et Uni LaSalle a étudié ces questions en système d’élevage ovin. Camille Béral, chargée de recherche à Agroof, une SCOP spécialisée dans l'étude et la mise en place de systèmes agroforestiers, en explique les principaux résultats.
Le projet Parasol a suivi les effets des arbres sur un réseau de parcelles à travers la France. Parmi elles, le site expérimental de l’INRAE de Theix comportant des prairies avec des densités d’arbres différentes. La première, le témoin, ne contenait qu’un arbre/ha. La deuxième comprenait 60 arbres/ha et la troisième 150 arbres/ha ; ce qui s’approche d’un boisement forestier classique. « Nous avons observé une réduction de température pouvant varier de 3 à 6°C entre parcelles agroforestières et parcelle témoin. Cela représente une diminution du stress thermique pour les animaux, voire pour les prairies » explique Camille Béral. Elle ajoute « on a remarqué que les animaux cherchent activement l’ombrage pour ruminer et se reposer. Pour consommer, les animaux sortaient de ces zones ombragées. »
Décalage des stades phénologiques
Les résultats ont également montré un retard phénologique, d’autant plus important que la densité de peuplement forestier est importante. Les rendements ont été réduits en parcelles agroforestières, « surtout lorsque la densité dépasse 60 arbres/ha, et que l’on cherche une valorisation classique en mai ou juin », indique Camille Béral. Toutefois, ce décalage de stade phénologique rend ces prairies plus intéressantes pour une valorisation en été. Les rendements mesurés étaient alors corrects et les valeurs alimentaires étaient même supérieures à celles de la prairie témoin. Pour la chargée de recherche, « il faut raisonner l’agroforesterie à l’échelle de l’exploitation, avec des parcelles au boisement plus ou moins dense, pour une valorisation à des moments différents ».
En outre, le projet a montré qu’une intervention sur les houppiers peut permettre d’apporter de la lumière et de retrouver une production herbacée comparable au témoin. Les branches ainsi prélevées peuvent servir de fourrage pour les animaux, qui consommeront alors les feuilles. Le projet a étudié les valeurs alimentaires et la digestibilité des feuilles de onze essences d’arbres. « Le frêne commun et le mûrier blanc sont particulièrement intéressants, avec des valeurs alimentaires et de digestibilité comparable aux meilleures espèces prairiales. Le tilleul, l’aulne et le châtaignier présentent également des qualités », explique Camille Béral. Un essai en ovin viande a montré qu’une ration pure de mûrier blanc n’a pas d’effet négatif sur les animaux et leurs performances zootechniques. La biomasse foliaire pourrait donc devenir une ressource fourragère intéressante, notamment en été, dans le cas de sécheresse.
Des questions restent en suspens
Toutefois, la mise à disposition des feuilles aux animaux pose quelques questions. Pour les arbres de haut jet, il faut pratiquer un élagage, qui demande matériel et savoir-faire. Les tailles en têtard demandent également une intervention qui peut être coûteuse en temps. Pour pallier cela on peut penser à des haies ou des têtards plus bas, directement accessibles au pâturage, ou encore à des tables fourragères, elles aussi directement accessibles pour les animaux. Des essais sont en cours sur ce dernier mode de conduite, pour évaluer sa faisabilité. Il faut aussi établir le bon temps de pâturage, pour que les animaux puissent prélever assez de feuilles, sans blesser les arbres. « Les tables fourragères peuvent aussi être récoltées mécaniquement, mais il n’y a pas encore assez de recul. », indique Camille Béral.
De nombreuses questions de recherche restent à explorer quant à l’intégration des feuilles d’arbres dans les systèmes fourragers. « Nous savons que les feuilles sont intéressantes du point de vue alimentaire. Il faut dorénavant définir la productivité qui peut en être attendue, comment les intégrer dans les rations, dans un calendrier de pâturage, mais aussi quelle forme de stockage peut être possible et avec quelles valeurs alimentaires du produit stocké. Il faudra également investiguer la faisabilité technique, la charge de travail et les impacts économiques. On pourrait enfin imaginer de regarder l’impact des arbres sur des prairies de plus courte durée. Cela pourrait même devenir un enjeu pour les semenciers : sélectionner des espèces prairiales qui supportent l’ombrage des arbres ».